Mondes à part

Mondes à part

J’etais en marche vers le village Yorkin, Costa Rica [carte], quand j’ai fait la rencontre de Powell et sa femme. J’avais entendu parler d’un eco-lodge appartenant et géré par les indigènes, et j’avais décidé de juste aller voir, sans plus de préparation.

Après la première réaction de méfiance, nous avons engagé la conversation tout en cheminant. C’était de toute évidence des gens adorables, et, alors que nous nous approchions du village, ils me proposèrent de venir chez eux au lieu d’aller a l’auberge.

Au pieds de Powell, un sac contenant un canard vivant qu’il s’est procuré pour la reproduction.

Nous avons passé les quatre jours suivants à arpenter son terrain et les pentes abruptes de la jungle environnante. Il m’a montré ses plantations, la faune et la flore locale, et s’est évertué à me faire goûter chacune des plantes comestibles que ses 35 hectares fournissaient en abondance.

Un délicieux fruit de cacao, récolté à la machette juste pour moi.

Entre autre choses, ils cultivaient la banane, le cacao et le café pour les industries locales et les importateurs européens. J’ai eu l’occasion d’apprendre a exécuter quelques unes des nombreuses taches de leur vie quotidienne.

Cette jungle était incroyablement riche de toutes formes de vie, dont quelques serpents venimeux, des singes, de très discrets jaguars, et une foultitude de flore que je serais bien incapable de nommer.

Tout ce qui est vert n’est pas forcément végétal. Heureusement, celui-ci n’est pas vraiment dangereux.

 

Cette petite bestiole (à peine trois centimètres) est la raison pour laquelle mes hôtes ne s’agrippaient jamais aux branches pour s’aider, même sur les pentes les plus boueuses. Leur piqûre est paraît-il si douloureuse que la plupart des gens s’évanouissent.

Connaître l’étranger

Nous avons passé la plupart de nos soirées en conversations, essayant de se comprendre. L’espagnol de mon hôte était excellent, étant donné que sa langue maternelle était le Bribri, mais mon espagnol en revanche très rudimentaire. Il n’y a pas que la langue qui fut une barrière, nous venions de cultures complètement différentes, comme l’attestaient les questions et haussement de sourcil de Powell.

J’étais certainement quelqu’un d’étrange, et mes récits des merveilles et des horreurs de mon pays et du monde développé le laissaient parfois ouvertement sceptique, mais néanmoins toujours curieux.

« Nous avons toujours été catholiques. »

Ce fut la réponse de Powell quand je lui ait naïvement demandé quelle était leur religion ancestrale. Je m’attendais a quelque chose de plus excitant comme une variante d’animisme ou des pratiques chamanistes.

Non. Au lieu de ça, j’ai appris que tout ce que ces gens savaient de leur histoire débutait à l’arrivée des espagnols sur le Nouveau Monde. Avant ça, il n’y avait rien. Il semblait même que c’était la première fois qu’il se posait la question.

Quelques faits marquants :

-En tant que peuple indigène, ils n’ont besoin d’aucun permis pour construire une maison ou bon leur semble. Ils peuvent juste se rendre sur place, et dégager un espace et couper du bois pour leur maison, tant que ça ne met pas en danger l’existence de quelqu’un d’autre. J’imagine que cela doit parfois donner lieu à d’intenses tractations avec les communautés en place.

La maison de Powell et sa nouvelle femme (ils sont tous les deux remariés) ainsi que d’un de ses fils à elle avec sa femme. Chaque pièce de bois a été coupée dans la forêt et façonnée à la tronçonneuse avec une incroyable précision.

 

-Çà ne les empêche pas d’avoir un système de gestion forestière plutôt strict. Aucun arbre ne peut être coupé près du village ou à l’écart de la rivière sans un permis délivré par la communauté.

La marque à la peinture sur la souche indique l’identité de l’abatteur ainsi que le décompte associé au permis.

 

– Le moins que l’on puisse dire, c’est que le territoire n’est pas contrôlé selon les memes critères que dans d’autres pays.  En fait, la maison de Powell était située sur le côté panaméen de la rivière, que nous traversions plusieurs fois par jour.

Ce qui sépare vraiment les gens du Costa Rica et du Panama c’est la jungle dense et l’absence de route rejoignant les centres urbains de chaque côté.

Des mondes à part

Lors de mon dernier jour là-bas, nous avons chargé une pirogue avec les bananes bio récoltées la veille pour aller les vendre.

Amenées en pirogue par la rivière, les bananes sont pesées puis chargées sur une embarcation à peine plus grosse, celle-ci équipée d’un moteur.

J’ai été très surpris du prix qu’ils en tiraient : 1,50€ du kilo. Également, ils furent assez sceptiques quant à l’estimation que je leur fournis du prix de revente final : entre 1,75€ et 2,50€ sur le marche allemand.

Après avoir fait les adieux à mon hôte, je me suis retrouvé à attendre que Fernando démarre le bateau qui allait me ramener à la civilisation, c’est-à-dire la route.

A 72 ans, Fernando conduit encore avec habileté son embarcation chargée d’une tonne et demie de bananes à travers les méandres de la rivière, avant de la décharger à la main dans un camion en pas plus d’une heure ou deux.

Alors qu’il m’a demandé d’où je venais, j’ai sorti mon smartphone pour lui montrer sur la carte. Je me suis vite rendu compte qu’il n’avait jamais vraiment étudié une carte, prenant le marron pour de la mer. Après l’avoir repris, j’ai zoomé et dezoomé pour qu’il se fasse une idée de l’échelle, et de l’immensité de l’océan entre nos pays.

Et c’est à ce moment que, désignant d’un geste vague les côtés du planisphère largement dézoomé, le vieil homme me posa la question qui tue :

« Ça s’arrête quelque part? »

J’étais sur le point de me laisser aller à un éclat de rire tonitruant quand j’ai levé la tête.
Il n’était pas du tout en train de plaisanter.

Apres un silence interloqué, je lui ai prudemment répondu que la Terre était une sorte de grosse boule voyageant à travers l’espace.

Et sa réaction fut :

« Ok. »

Puis, après un court silence : « C’est bien que les enfants d’aujourd’hui aillent à l’école pour savoir toutes ces choses. »

La brièveté résonnait dans ma tête.

« Ok. »

J’arrivais à peine à y croire. Il avait passée toute sa vie sur une rivière qu’il connaissait mieux que moi mon sac à dos (et c’était un sacré barreur), mais sa seule réaction quand je lui ai appris que le monde sur lequel il vivait flottait dans l’espace, sa seule réaction fut : « OK ».

Bien sûr je ne comprendrais jamais l’esprit de cet homme, ce que ça fait de connaître si parfaitement un endroit sans avoir aucune idée des formes du monde. Peut-être  qu’il ne s’agissait que de la tranquillité d’un vieil homme, qui, conscient que la mort était proche, ne se souciait plus vraiment des nouveautés.

Peut-être n’était-ce que cela : il se contentait de profiter de ce qu’il avait et de ce qu’il avait eu.

 

C’est  encore troublé que j’enfilais mon sac à dos, et me dirigeais vers l’arrêt du bus qui me sortirait de la réserve.

J’avais l’impression qu’on m’avait laissé là apres m’avoir ouvert l’esprit au forceps.

J’avais eu une première idée de ce que serait la rencontre avec un être d’un autre monde.

 

Courtesy @Space_Station/Intl. Space Station/Handout via REUTERS ATTENTION EDITORS - THIS IMAGE HAS BEEN SUPPLIED BY A THIRD PARTY. MANDATORY CREDIT
L’ISS, la « maison dans le ciel », telle que je l’ai montrée au vieil homme avant de m’en retourner vers la ville.

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